Legs-Proverbe-Africain

Une histoire de legs- Citation Du Lundi

Un Legs…un héritage…Binta, princesse de Ségou et aspirante au trône de son père le roi Touré, n’avait de cesse de répéter ces mots dans sa tête en s’interrogeant sur leur signification. Le discours que venait de lui faire son père, l’avait ému et marqué. Le vieil homme n’avait plus la vigueur d’antan. Il parlait désormais avec lenteur, détachant chaque syllabe, et était souvent secoué par des quintes de toux violentes.

Je ne l’avais jamais senti si faible, pensait-elle. J’étais si heureuse d’aller le voir, de me voir accordé cet honneur, aujourd’hui, jour de fête des Pères. J’avais préparé avec amour ce plat de Maffé, qu’il a juste goûté. Mais que voulait-il donc dire par legs. Qu’entendait-il donc par héritage ? J’aurais aimé en parler à mon frère Yacine, mais père me l’avait formellement interdit. Il avait insisté sur ce silence que je devais garder jusqu’à l’annonce officielle de son décès. Il avait insisté sur ce silence que je devais garder jusqu’à la réunion du conseil. Etait-ce donc la dernière fois que je voyais l’illustre Touré ? Ne verrais-je plus jamais mon tendre Papa ?

Et que disait-il encore au sujet de legs, et héritage. Il me semblait l’entendre : « Le monde est un pot à eau, quand on a bu, on le passe à autrui pour qu’il le boive aussi », étrange. Je finirai bien par comprendre.

Trois jours après

Père est mort. L’illustre Touré s’en est allé. Le baobab des baobabs s’est éteint. L’annonce n’a pas encore été faite dans toute la contrée que déjà les chacals ont montré leurs griffes. Qui l’aurait cru ? Mon frère Yacine vient de quitter ma maisonnée, proférant des menaces de morts et de violences sanglantes si je ne lui prêtais pas officiellement allégeance lors du conseil. Aurait-il donc oublié les coutumes de notre peuple ? Aurait-il oublié qu’il n’appartient pas vraiment à qui que ce soit de se déclarer héritier du trône, quand bien même fils ou fille de roi ? Au final, notre père avait eu près de vingt-cinq femmes, et certains de ses enfants bien que les aînés, avaient le même âge. Comment faire le tri ? Et au fond, il ne s’agit pas de la succession de l’illustre Touré mais bien de la survie de notre peuple…Et tout de suite les paroles prémonitoires de père prennent tous leur sens.

Il avait vu. Ils nous connaissaient nous ses enfants. Et les anciens ne nous laissaient-ils pas croire que les rois avaient des pouvoirs surnaturels ? Il avait vu la division. Très certainement la destruction, le sang, la guerre telle que Yacine l’invoquait, l’appelait sans aucune gêne. Mais au final, quel avenir pour le peuple de Ségou si terreur et désolation s’abattaient sur notre terre. Il me semble apprendre la première leçon d’un souverain et je souhaiterais tellement faire entendre raison à Yacine, et aux autres qui ne se sont pas encore déclarés mais que Père me laissait voir dans son discours. Cette leçon revient à cette pensée simple qu’il citait il y a trois jours (déjà si loin) :

Héritage

Eh oui, être souverain, c’est bien plus qu’être à l’affût de richesse personnelle, de reconnaissance. Etre souverain, c’est avant tout perpétuer ce qui nous a été donné. C’est perpétuer l’héritage, c’est perpétuer le legs. La réunion du conseil a lieu demain. Et je dois encore rester silencieuse jusque-là. En aurais-je la force. Pourrai-je éviter la malédiction de la guerre et de la folie à notre peuple ?

Le jour d’après

Me voici donc devant le conseil des anciens. Me voici donc devant le conseil des sages de notre peuple, juste équilibre entre hommes et femmes. Me voici sur le point de parler, tel un oracle, pour restituer la parole du Roi mort comme le veut la tradition (quel honneur d’avoir été choisie malgré la peine de ne plus le voir).

La parole m’ait donné par l’ancien Konaté. Et je parle. Je me sens perdre le contrôle de moi-même. Je récite le message du roi Touré. J’ai le sentiment, qu’il ne s’agit plus de Binta Touré Kintaba. J’ai l’impression que le roi Touré a pris possession de moi et s’exprime à la foule. Au-delà du message général, il répétera trois fois la pensée qui m’accompagne depuis son décès.

Héritage
Héritage

Et soudain, c’est le noir. Je ne vois plus rien. Et je reprends connaissance installée sur le trône ancestral de Ségou. C’est le début de l’intronisation. Je ne comprends rien. J’essaie de m’enfuir, je me débat. Comment cela est-il possible? Je n’ai que faire du pouvoir. Je n’ai que faire de ces batailles que je sens venir. Je n’ai que faire d’un duel à mort avec Yacine, après tout, il s’agit de mon frère, de mon aimé. Que se passe-t-il ? Le noir, de nouveau.

Quand je me réveille, je suis dans une salle richement décorée, surprenante. J’en ai souvent entendu comme une lointaine légende. Le roi de Ségou est un être plus proche des dieux que des êtres humains et dans cette pièce a lieu son intronisation, sa reconnaissance formelle par l’assemblée des dieux, des ancêtres. Ce lieu est la mémoire de Ségou, la mémoire de notre peuple. Ici, je suis invitée à parler une seule fois, pour prêter serment par ces mots qui décidément m’obsèdent :

 « Le monde est un pot à eau, quand on a bu, on le passe à autrui pour qu’il le boive aussi »,

Le noir, encore..la lumière ensuite et retour sur le trône. J’ai désormais compris les tendres paroles de père. Je suis décidée à perpétuer notre royaume, à protéger ses traditions, à le faire prospérer pour léguer à mon tour, un royaume fort à mon successeur et permettre à nos griots de chanter le nom de Ségou pour les siècles et les siècles. Moi Binta Touré Kintaba, j’accepte de passer le pot à eau.

PS : Toute ressemblance avec des faits réels est parfaitement hasardeuse. C’était la « Citation du Lundi ».

XoXo

Anna KEDI SIADE ♦

10 Commentaires

  1. J’aime beaucoup, avec un léger pincement au coeur!

    1. pourquoi le pincement?

      1. La perte d’un père, un pilier et le poids de ce legs qu’on ne ressent réellement que lorsque cette âme nous quitte…

        1. oooooh mon ange. Sorry. I should have sensed it faster. Des bisounours tout plein.

  2. Très belle leçon subliminale.

  3. Hahahaha juste fascinant… Mais déçu de voir que l’explication était simple comme ça ! Tellement tu as fait monté (Très habilement) la curiosité !:)

    1. Merciiiii. Heureuse que tu ais aimé.

  4. Woooaw elle est juste magnifique ! Faudrais que tu m’aide pour la suite de mon histoire

    1. Avec plaisir chère petite sœur. Merci de t’être arrêtée par ici. Tu peux faire le tour, je suis certaine que tu trouveras d’autres billets qui t’inspireront.

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